16.
Wulfric et Gwenda quittèrent Kingsbridge tôt dans la matinée du lundi. Une longue route les attendait pour regagner leur village de Wigleigh.
Caris et Merthin étaient venus leur dire adieu à l’embarcadère du nouveau bac. Le jeune homme regardait d’un air satisfait cette machine construite de ses mains et qui fonctionnait parfaitement. Il regretta seulement qu’elle ne soit pas équipée de pignons en fer car ceux-ci, taillés dans du bois, s’useraient rapidement.
Des pensées bien différentes agitaient sa compagne. « Gwenda est tellement éperdue d’amour, soupira-t-elle.
— Avec Wulfric, elle n’a aucune chance ! renchérit Merthin.
— On ne sait jamais. Quand elle a une idée dans la tête... Regarde comme elle a réussi à échapper au colporteur !
— Mais Wulfric est fiancé à cette Annet qui est bien plus jolie qu’elle.
— En amour, l’apparence n’est pas tout.
— J’en bénis le ciel chaque jour. »
Elle rit. « Je l’aime bien, moi, ton drôle de visage !
— Mais Wulfric doit l’aimer, son Annet, car il n’a pas hésité à se battre avec mon frère pour ses beaux yeux !
— Gwenda a un philtre d’amour. »
Merthin toisa Caris d’un air réprobateur. « Tu trouves normal qu’une fille use d’artifices pour qu’un homme l’épouse alors qu’il en aime une autre ? »
La jeune fille en resta bouche bée. Elle rougit malgré elle. « Je n’avais pas vu les choses sous cet angle-là, finit-elle par dire. Tu trouves vraiment qu’il s’agit là de ruse ?
— Si ce n’est pas de la ruse, ça y ressemble fortement.
— Mais Gwenda ne l’oblige à rien. Elle veut juste qu’il l’aime.
— Elle ne devrait pas recourir à un philtre pour y parvenir.
— Tu me plonges dans la honte, parce que je l’ai aidée.
— C’est trop tard. »
Sur l’autre rive, Wulfric et Gwenda descendaient du bac. Ils se retournèrent pour agiter la main et s’engagèrent sur la route qui serpentait à travers le faubourg, Skip sur les talons.
Merthin et Caris remontèrent la grand-rue. « Tu as parlé à Griselda ? s’enquit-elle.
— Je comptais le faire maintenant. Je n’arrive pas à savoir si je me réjouis de cette conversation ou si je suis terrifié.
— Tu n’as rien à craindre, c’est elle la menteuse.
— C’est juste. Espérons seulement que son père ne va pas s’emporter ! répliqua Merthin en levant la main vers son visage où l’on voyait encore la trace du coup que lui avait assené Elfric.
— Tu veux que je t’accompagne ? »
Il refusa. Mieux valait tenir Caris en dehors de cette histoire.
« C’est à moi de régler le problème puisque j’en suis à l’origine. »
Ils étaient arrivés devant chez maître Elfric. Caris lui souhaita bonne chance.
« Merci », répondit Merthin. Il posa un baiser sur ses lèvres et entra dans la maison, résistant à la tentation de prolonger l’étreinte.
Assis à la table du vestibule, Elfric mangeait du pain et du fromage, une chope de bière devant lui. Dans le fond, on apercevait Alice et la servante s’affairant dans la cuisine. Griselda, elle, était invisible.
« Où étais-tu ? » demanda Elfric.
Fort de son bon droit, Merthin décida d’agir courageusement. Ignorant la question d’Elfric, il riposta : « Où est Griselda ?
— Couchée. »
Merthin leva la tête vers l’escalier. « Griselda ! cria-t-il. Descends, je veux te parler.
— Pas de temps pour ça, intervint Elfric. Le travail attend. » Merthin ne lui prêta pas plus d’attention qu’auparavant.
« Griselda ! Tu ferais bien de te lever, et plus vite que ça !
— Hé ! s’emporta Elfric. Pour qui te prends-tu pour donner des ordres à ma fille ?
— Vous voulez que je l’épouse, n’est-ce pas ?
— Et alors ?
— Elle a intérêt à prendre l’habitude d’obéir à son mari. » Et il répéta, élevant encore la voix : « Descends tout de suite entendre ce que j’ai à te dire. »
Griselda apparut au sommet de l’escalier, grommelant sur un ton irrité : « J’arrive, j’arrive. Qu’est-ce que c’est que ce boucan ? »
Merthin attendit qu’elle soit descendue pour claironner : « Je sais qui est le père de ton enfant ! »
Un éclat de crainte brilla dans le regard de Griselda. « Ne dis pas de bêtises ! C’est toi, tu le sais bien !
— Non, c’est Thurstan.
— Thurstan ! Mais je n’ai jamais couché avec lui ! » Regardant son père elle ajouta : « Je le jure !
— Griselda n’a pas l’habitude de mentir, s’exclama Elfric avec force.
— C’est vrai ! » renchérit Alice, sortant de la cuisine.
Mais Merthin ne se laissa pas démonter. « Je couche avec Griselda le dimanche de la semaine de la foire, il y a tout juste quinze jours, et Griselda est enceinte de trois mois ?
— Mais pas du tout !
— Oh, vous le saviez parfaitement, dame Alice ! Poursuivit Merthin en la dévisageant durement. Mais ça ne vous a pas empêchée de mentir à votre propre sœur ! »
Alice détourna les yeux.
« Comment peux-tu dire depuis combien de temps elle est enceinte, alors que je l’ignore moi-même ?
— Il suffit de la regarder ! rétorqua Merthin. Elle a un gros ventre. Pas trop encore, mais il se voit déjà.
— Qu’est-ce que tu connais à ces choses ? Tu n’es pas une femme, que je sache !
— Vous comptiez tous profiter de mon ignorance, et j’ai bien failli tomber dans le panneau ! »
Levant un doigt menaçant, Elfric martela : « Tu as couché avec Griselda, tu dois l’épouser.
— Sûrement pas. Et d’ailleurs, elle ne m’aime pas. Elle a couché avec moi uniquement pour donner un père à son enfant. Parce que Thurstan a pris la poudre d’escampette ! J’ai mal agi, je le reconnais, mais je n’ai pas l’intention de payer ma faute tous les jours de ma vie.
— Oh, mais si ! réagit Elfric en se levant de son siège.
— Il n’en est pas question !
— Je t’y obligerai.
— Non !
— Tu l’épouseras ! tempêta Elfric, rouge de fureur.
— Combien de fois devrai-je vous dire non !
— Puisque c’est ainsi, je te renvoie ! s’époumona Elfric, comprenant que Merthin n’en démordrait pas. Débarrasse le plancher et ne remets plus les pieds chez moi ! »
Face à cette réaction, signe de sa victoire, Merthin éprouva un immense soulagement. « Très bien ! »
Il fit un pas en avant, cherchant à contourner Elfric, mais celui-ci lui bloqua le chemin.
« Je peux savoir où tu vas ?
— À la cuisine, rassembler mes affaires.
— Tes outils, tu veux dire ?
— Oui.
— Ils sont à moi. C’est moi qui les ai payés.
— Un apprenti reçoit toujours ses outils à la fin de..., voulut objecter Merthin, mais Elfric le coupa :
— Tu n’as pas achevé ton apprentissage, je n’ai donc pas à t’offrir d’outils. »
Merthin en resta éberlué. « Mais je les ai faits, mes sept ans !
À trois mois près.
— C’est bien ce que je dis : tu ne les as pas faits !
— Mais c’est injuste ! s’écria Merthin. J’en appellerai à la guilde. »
Sans outils, comment gagnerait-il sa vie ?
« Il ferait beau voir ! ricana Elfric avec suffisance. Ça m’amuserait de t’entendre arguer qu’un apprenti renvoyé par son maître pour avoir défloré sa fille mérite une récompense ! Les charpentiers de la guilde n’ont pas que des apprentis, ils ont des filles aussi. Ils te flanqueront dehors avec perte et fracas ! »
Merthin en resta coi. Elfric avait raison.
« Te voilà dans un beau pétrin ! ricana Alice.
— C’est exact, riposta Merthin. Mais c’est un bonheur, comparé à la vie horrible qui aurait été la mienne auprès de Griselda et de sa charmante famille ! »
*
Plus tard dans la matinée, espérant se faire embaucher par un maître charpentier, Merthin se rendit à l’enterrement de l’un d’eux, à l’église Saint-Marc. C’était en tombant du toit de cette église que Howell Tyler était mort, et une énorme trouée en forme de corps humain au milieu des peintures du plafond témoignait de la tragédie. Là-haut, l’appareillage en bois était complètement pourri, à ce que disaient des bâtisseurs qui avaient grimpé sur le toit pour juger de la situation. Ils auraient mieux fait d’inspecter les lieux avant l’accident, songea Merthin, le drame aurait été évité.
En levant les yeux, il put se convaincre que le toit était trop endommagé pour être réparé. Il allait falloir le déposer totalement et le reconstruire à neuf. Cela signifiait que l’église devrait fermer, ce qui n’arrangerait pas les affaires du curé, car sa paroisse ne roulait pas sur l’or. Située tout au nord de la ville, dans le quartier le plus pauvre de la ville, l’église Saint-Marc disposait pour toute dotation d’une unique ferme à dix milles de Kingsbridge. Son revenu rapportait à peine de quoi vivre à son métayer, lequel n’était autre que le frère du curé. Pour subsister, celui-ci devait s’en remettre au maigre denier du culte que lui versaient ses huit ou neuf cents paroissiens, indigents pour la plupart ou qui feignaient de l’être quand ils ne l’étaient pas. Les sacrements – baptêmes, mariages et enterrements –, célébrés à un prix bien inférieur à celui pratiqué par les moines de la cathédrale, permettaient au père Joffroi d’améliorer un peu son ordinaire. Ses fidèles, en effet, se mariaient tôt, engendraient des kyrielles d’enfants et mouraient jeunes. Finalement, il n’était pas le plus mal loti des habitants de son quartier. Il croulait sous la tâche. S’il lui fallait fermer l’église, ses revenus s’en ressentiraient gravement et il n’aurait pas les moyens de payer la réfection de la toiture. Pour l’heure, il avait décidé de suspendre les travaux.
Tous les charpentiers de la ville étaient venus à l’enterrement, y compris Elfric. Merthin faisait de son mieux pour garder la tête haute. Cela lui demandait un grand effort, car la nouvelle de son renvoi avait déjà fait le tour de la confrérie. Certes, il était l’objet d’une injustice, mais il n’était pas non plus totalement innocent.
Caris, amie de la toute jeune veuve, entrait maintenant dans l’église à la suite de la famille endeuillée. Merthin s’approcha d’elle pour lui raconter comment s’était déroulée sa conversation avec Elfric.
Pendant que le père célébrait l’office dans sa chasuble élimée, Merthin réfléchit au moyen de réparer le toit sans fermer l’église, convaincu qu’il en existait un. Lorsque des travaux avaient été trop longtemps reportés et que les poutres en place n’étaient plus assez solides pour supporter le poids des ouvriers, la méthode habituelle consistait à monter un échafaudage tout autour de l’église et à balancer le bois pourri dans la nef. Tant qu’un nouveau toit de tuiles n’était pas installé, le sanctuaire restait à découvert, livré aux intempéries. Dans le cas présent, compte tenu de la solidité des murs, il était certainement possible d’utiliser une grue pivotante. En l’appuyant au flanc de l’église, on pourrait non seulement soulever les madriers, mais les faire tomber dans le cimetière en contrebas, et non dans la nef.
Au cimetière, Merthin examina les bâtisseurs en se demandant lequel d’entre eux serait le plus enclin à l’embaucher. Son choix s’arrêta sur un artisan au crâne dégarni, que sa couronne de cheveux noirs faisait ressembler à un moine. Bill Watkin construisait principalement des maisons particulières pour les grandes familles de Kingsbridge. Il était à la tête de la plus grosse entreprise de la ville après celle d’Elfric et, comme lui, employait un maçon et un charpentier, plusieurs ouvriers et un ou deux apprentis. Surtout, il ne comptait pas parmi les admirateurs de son ancien patron, loin de là.
Le défunt, quant à lui, n’avait pas connu la prospérité dans sa vie professionnelle. Il était enseveli dans un linceul à même la terre, sans cercueil.
Quand le père Joffroi se fut retiré, Merthin s’en alla trouver Bill Watkin. « Je vous souhaite le bonjour, maître Watkin, lui dit il avec déférence.
— Eh bien, jeune Merthin ? répondit le constructeur sur un ton dénué d’enthousiasme.
— Je me suis séparé de maître Elfric.
— Je sais, dit-il. Et je sais aussi pourquoi. »
À ces mots, Merthin comprit qu’Elfric avait profité de la cérémonie pour propager ses diffamations.
« Vous ne connaissez que la version d’Elfric.
— Je n’ai pas besoin d’en savoir davantage. »
Assurément, Elfric avait passé sous silence les manigances de Griselda pour lui faire endosser la paternité de son enfant. Mais à quoi bon entrer dans les détails ? Cela n’arrangerait pas son affaire. Mieux valait admettre sa faute ! « Je comprends que j’ai causé du tort et j’en suis désolé, mais il n’empêche que je suis un bon charpentier. »
Bill manifesta son accord d’un hochement de la tête. « Le nouveau bac en témoigne. »
Encouragé, Merthin lui demanda s’il voulait l’engager.
« En tant que quoi ?
— Charpentier. Vous venez de dire que je m’y connaissais.
— Mais où sont tes outils ?
— Elfric n’a pas voulu m’en donner.
— Il a eu raison. Tu n’as pas fini ton apprentissage.
— Prenez-moi alors comme apprenti pendant six mois.
— Pour t’offrir des outils au bout du terme ? Je n’ai pas les moyens d’être aussi généreux. » Les outils valaient cher en raison du prix du fer et de l’acier.
« Je travaillerai comme ouvrier, j’achèterai mes outils sur mon salaire, proposa alors Merthin, sachant que cela lui prendrait des années pour les rembourser.
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai une fille, moi aussi.
— Je ne suis pas un danger pour les demoiselles, vous savez ! rétorqua Merthin, outré.
— Tu es un mauvais exemple pour les autres apprentis. Si tu n’es pas puni, qu’est-ce qui empêchera les autres de tenter leur chance ?
— C’est injuste ! »
Bill haussa les épaules. « Prends-le comme tu voudras. Tu peux t’adresser à n’importe qui. Tu verras que tous les charpentiers pensent comme moi.
— Mais qu’est-ce que je vais faire ?
— À toi de voir. C’est avant qu’il fallait y penser.
— Ça vous est égal de perdre un bon charpentier ? »
Bill haussa de nouveau les épaules. « Sans outils, tu ne nous voleras pas le travail, c’est déjà ça. »
Merthin tourna les talons. Le problème avec les guildes, c’était que toutes les raisons leur étaient bonnes pour freiner l’entrée aux nouveaux adhérents. En effet, quel intérêt avaient-elles à se battre pour que la justice triomphe, quand la pénurie de bons charpentiers faisait grimper les prix ?
La veuve de Howell partit, soutenue par sa mère. Libérée de son œuvre de compassion, Caris s’en vint trouver Merthin. « Tu en as un air malheureux ! Pourtant, tu le connaissais à peine, Howell.
— Je vais devoir quitter Kingsbridge. »
Elle pâlit. « Et pourquoi donc ? »
Il lui répéta les propos de Watkin. « Tu vois, personne ici ne voudra m’embaucher et je ne peux pas m’établir à mon compte puisque je n’ai pas d’outils. Évidemment, je pourrais habiter chez mes parents, mais je m’en voudrais de leur ôter le pain de la bouche. Je vais être obligé de chercher un emploi dans une ville où personne ne connaît Elfric. Avec le temps, peut-être que j’arriverai à économiser assez pour m’acheter un marteau et un burin. Après, je m’installerai dans une autre ville et j’essaierai de me faire admettre dans la guilde. »
Le fait d’exposer la situation à haute voix lui permettait de prendre pleinement conscience de toutes les conséquences. Il se mit à regarder Caris comme s’il la voyait pour la première fois et il se sentit tomber sous le charme de ses yeux verts étincelants, de son petit nez joliment dessiné, de sa mâchoire déterminée. Sa bouche, découvrait-il soudain, était légèrement disproportionnée par rapport au reste de son visage : elle était trop grande et ses lèvres trop pleines. Cela déséquilibrait sa physionomie de la même manière que sa sensualité bouleversait son esprit bien ordonné. C’était une bouche dessinée pour l’amour. À la pensée qu’il puisse ne jamais plus l’embrasser, le désespoir le saisit.
« Mais c’est d’une injustice insigne ! Ils n’ont pas le droit ! s’écria la jeune fille scandalisée.
— Non, mais je ne peux rien y faire. Uniquement me soumettre.
— Attends un instant. Réfléchissons mieux. Tu peux habiter chez tes parents et prendre tes repas chez nous.
— Je ne veux pas être à la charge de qui que ce soit, comme mon père.
— Tu as raison, mais tu peux acheter les outils de Howell. Sa femme vient de me dire qu’elle les céderait pour une livre.
— Je n’ai pas un sou.
— Demande à mon père de te prêter de l’argent. Il t’aime bien, je suis sûre qu’il le fera.
— C’est contraire aux règles d’employer un charpentier qui n’est pas membre de la guilde.
— Les règles sont faites pour être brisées ! Et il Y a sûrement quelqu’un en ville qui a tellement besoin d’un charpentier qu’il acceptera de défier la guilde. »
Cet échange lui ouvrait les yeux : Caris avait raison, naturellement, et il lui en était follement reconnaissant. Il ne devait pas se laisser abattre par les réactions des maîtres charpentiers. Il allait rester à Kingsbridge et se battre contre ce règlement injuste. D’ailleurs, ici même, quelqu’un avait désespérément besoin d’un charpentier pour réparer son toit, et c’était le père.
« Allons de ce pas le trouver ! » déclara Caris.
Le petit presbytère jouxtait l’église Saint-Marc. Les deux amis trouvèrent le curé en train de préparer du poisson salé et des haricots verts pour son dîner. Âgé d’une trentaine d’années, le père pouvait s’enorgueillir d’une puissante carrure de soldat. De caractère brusque, il était compatissant envers les démunis.
« Je sais comment réparer le toit sans fermer l’église », attaqua Merthin.
Joffroi le dévisagea d’un air circonspect. « Si tu dis vrai, alors c’est le ciel qui t’envoie.
— Je peux construire une grue qui déposera les vieilles poutres de la charpente dans le cimetière et hissera les nouvelles à leur place.
— Elfric vient de te renvoyer », objecta le prêtre.
Surprenant son regard gêné, Caris déclara : « Vous pouvez parler sans ambages, mon père, je suis au courant de la situation.
— Il m’a renvoyé, parce que je ne voulais pas épouser sa fille. Mais l’enfant qu’elle porte n’est pas de moi ! »
Joffroi hocha la tête. « D’aucuns assurent que ta punition est injuste et je veux bien l’admettre. Je ne nourris pas un grand amour pour les guildes. Il est rare que leurs décisions ne soient pas motivées par des intérêts égoïstes. Mais quand même, tu n’as pas fini ton apprentissage.
— Est-ce qu’un charpentier membre de la guilde est capable de réparer votre toit sans fermer l’église ?
— Il paraît que tu n’as même pas d’outils.
— C’est un problème qui sera réglé, vous pouvez me croire. »
Le père hésitait. « Combien veux-tu être payé ? »
Merthin étira le cou dans sa chemise. « Quatre pennies par jour, plus le coût des matériaux.
— C’est le salaire d’un charpentier.
— Si vous estimez mes compétences insuffisantes, alors ne m’engagez pas.
— Tu ne manques pas d’aplomb !
— Je ne dis jamais que je suis capable de faire quelque chose quand ce n’est pas le cas.
— L’arrogance n’est pas le pire des péchés. Je peux te payer quatre pennies si l’église reste ouverte. Combien de temps faudra-t-il pour construire cette grue ?
— Deux semaines au maximum.
— Je ne te paierai qu’une fois convaincu que ton système fonctionne. »
Merthin prit une grande inspiration. Pour l’heure, il n’aurait pas un sou, mais il se débrouillerait. Il vivrait chez ses parents et mangerait à la table d’Edmond le Lainier. « Payez les matériaux et conservez mon salaire jusqu’à ce que la première poutre ait été retirée du toit et déposée au sol. »
Le père Joffroi admit en hésitant : « Je ne vais pas me faire d’amis... Enfin, je n’ai pas le choix. »
Il tendit sa main.
Merthin la serra.